« Les mosquées ne s’organisent pas en fonction des décisions politiques ni de celles du Conseil français du culte musulman »

Les mesures annoncées par Emmanuel Macron pour lutter contre le séparatisme restent marquées par une logique verticale, alors que les pratiques des musulmans obéissent à des dynamiques locales de terrain, observe, dans une tribune au « Monde », l’avocat Alain Garay.

Publié hier à 06h30 Temps de Lecture 4 min.

Article réservé aux abonnés

Tribune. Prenant acte des « contournements et des décennies de laisser-faire », le discours du président de la République, le 2 octobre, sur la lutte contre les séparatismes pointe ainsi les écueils des politiques publiques. Le chef de l’Etat souhaite réviser les conditions de l’organisation et du financement des associations qui portent notamment l’islam, en précisant qu’« il nous fait aider cette religion (…) à se structurer pour être un partenaire de la République pour ce qui est des affaires que nous avons en partage ». Une telle logique de « partenariat » ne cesse d’interroger sur sa nature dans une République laïque. Et il n’est pas sûr qu’aient été tirés tous les enseignements des pratiques musulmanes si diverses, du cultuel au culturel, du social à l’économique.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Emmanuel Macron présente son plan contre « le séparatisme islamiste »

Les mesures étatiques annoncées restent marquées par une logique verticale, depuis le haut, alors que ces pratiques obéissent à des dynamiques locales de terrain, qui échappent totalement au Conseil français du culte musulman. Faisant le pari d’une « pression immense de l’Etat » sur cette instance « représentative », le chef de l’Etat ne devrait cependant pas ignorer son très faible pouvoir à la marge, alors qu’elle n’a jamais fait, depuis sa création, en 2003, la preuve de sa légitimité et de son efficience.

L’appel aux mosquées, par voie d’incitation à adopter le statut de l’association cultuelle de la loi du 9 décembre 1905, butte sur une réalité : les mosquées ne s’organisent pas en fonction des décisions politiques ou de celles du Conseil français du culte musulman. Ce souhait semble ignorer le fait que si les musulmans n’ont pas tous constitué d’associations cultuelles, ce n’est pas qu’ils refusent de se soumettre aux présumées contraintes de la loi de 1905 mais, tout simplement, parce que légalement, les associations cultuelles ne peuvent avoir que des activités exclusivement cultuelles, alors que leurs pratiques sont polymorphes, du cultuel au culturel. Or, en fait de « contraintes », la loi de 1905 ne vise que le contrôle financier, tombé depuis des décennies en désuétude, des associations cultuelles par l’administration de l’enregistrement et l’inspection générale des finances.

De rares contrôles administratifs

La méthodologie élaborée par l’Elysée et les ministères semble insinuer que le droit existant ne permet pas d’assurer la structuration des associations musulmanes. Rien n’est moins vrai. En l’état, les lois de 1901 sur le contrat d’association et celle du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat sont fondées sur le droit applicable aux contrats et aux obligations, qui permet de structurer et de contrôler les cultes quels qu’ils soient. Vouloir renforcer les « contraintes » de la loi en vigueur, c’est a priori prétendre qu’elles seraient insuffisantes en matière d’organisation et de financement.

« D’ores et déjà, la loi accorde aux pouvoirs publics la vérification de la conformité à la loi des opérations associatives et financières liées aux activités religieuses »

Or, d’ores et déjà, la loi accorde aux pouvoirs publics, sous le contrôle de la justice, la vérification de la conformité à la loi des opérations associatives et financières liées aux activités religieuses. Deux exemples l’illustrent en matière de prétendues contraintes de la loi de 1905 et de « dispositif antiputch ». L’actuel article 21 de la loi de 1905 dispose que « le contrôle financier est exercé sur les associations (…) par le ministre des finances et par l’inspection générale des finances », alors qu’à ce jour on n’en trouve aucune trace. La rareté de tels contrôles administratifs est patente – ce que savent bien les spécialistes.

Davantage que le renforcement des mesures de contrôle se pose tout d’abord la question de l’étendue des obligations comptables des associations cultuelles et religieuses. Ainsi, la collecte des offrandes, au sein des édifices du culte notamment, n’est pas systématiquement comptabilisée en interne, au détriment des donateurs. D’autre part, pour éviter les prises de contrôle hostiles par des extrémistes par voie de changement soudain des dirigeants associatifs, le président de la République en appelle à un « dispositif antiputch », mécanisme existant aujourd’hui en la forme du droit applicable aux contrats et aux obligations sous le contrôle en annulation efficace des cours et des tribunaux.

Ainsi de l’arrêt rendu le 18 mai 2017 par la cour d’appel de Paris dans le fameux contentieux de la mosquée Adda’wa, l’une des plus importantes de Paris. Il n’est pas sûr que les rédacteurs du discours présidentiel et ceux du futur projet de loi aient pris la mesure en la matière des interstices béants des lois de 1901 et de 1905 qui ne permettent nullement aux préfets de s’assurer de l’authenticité et de la régularité des procès-verbaux déclaratifs déposés en préfecture.

Méconnaissance généralisée

Au total, la façon dont l’Etat veut inciter les mosquées à se structurer, qui repose a priori sur un motif compréhensible, ne peut pas faire abstraction, d’une part, de la capacité de la grande majorité des musulmans à s’organiser seuls au plan local sans injonction du haut, ni, d’autre part, du caractère lacunaire de la mise en œuvre du droit existant, à défaut de contrôles administratifs prévus en matière de droit fiscal et financier, de droit du travail et de la sécurité sociale.

Il est prévisible que le futur projet de loi institue des dispositions légales encore plus complexes qui rendent hypothétique l’efficacité in concreto de leur mise en œuvre. Il ne faudrait pas qu’il fasse finalement « pschitt » en occultant de vraies questions opérationnelles en devenant un motif de disputes politiques à venir sur fond de méconnaissance généralisée du régime juridique des activités cultuelles et religieuses. Conseillers de l’Elysée et rédacteurs du projet de loi, les ministères devraient agir avec prudence pour éviter d’embraser les débats parlementaires et médiatiques et, ainsi, d’accoucher d’une souris noyée dans un prévisible millefeuille administratif complexe et inappliqué. Reste aussi à instituer un vaste programme de formation du droit applicable auprès des décideurs religieux associatifs.

Contribuer

Services

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    Si vous utilisez ce compte à plusieurs, passez à une offre multicomptes pour faire profiter vos proches de votre abonnement avec leur propre compte. Sinon, cliquez sur «  » et assurez-vous que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Vous ignorez qui d’autre utilise ce compte ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.